Depuis 40 ans, des études épidémiologiques sont menées sur les effets des champs magnétiques. Elles ont pour auteurs différentes équipes de recherche, aussi bien européennes, asiatiques qu’américaines et portent soit sur les expositions des adultes, notamment dans un cadre professionnel, soit sur celles des enfants.
LES ÉTUDES SUR L’EXPOSITION DES ADULTES AUX CHAMPS MAGNÉTIQUES
La plupart des études portent sur les expositions professionnelles, ceci pour deux raisons : d’une part l’exposition professionnelle est plus facile à évaluer (par exemple si cette exposition est liée à une machine ou un poste de travail particulier) et d’autre part par ce que c’est en milieu professionnel que l’on rencontre les plus fortes expositions. Or il est logique de penser que si les CEM ont des effets sur la santé, c’est en étudiant les fortes expositions qu’on a le plus de chances d’observer ces effets.
Une des plus importantes études a été publiée en 1994 : trois grandes compagnies d’électricité (EDF, Ontario-Hydro et Hydro–Québec) se sont associées pour entreprendre une étude épidémiologique de grande ampleur sur leur personnel. Conduite par des chercheurs indépendants (l’INSERM en France, et au Canada l’Université Mc Gill de Montréal et l’Université de Toronto), cette analyse a permis d’étudier – avec la collaboration de nombreux salariés et des médecins du travail – une population de près de 400 000 travailleurs de ces compagnies d’électricité, suivis tout au long de leur carrière professionnelle et même au-delà pour une grande partie d’entre eux.
Une analyse conjointe a été réalisée par L. Kheifets et publiée en 1999 à partir des trois plus importantes études en exposition professionnelle (dont l’étude franco-canadienne précédemment citée). Les conclusions sont que « les incohérences apparentes entre les résultats de ces différentes études peuvent s’expliquer par des variations statistiques […]. Sur la base de l’analyse combinée des données de ces études, le risque relatif était de 1,12 pour les cancers du cerveau et de 1,09 pour les leucémies ».
Ces résultats, qui ne sont pas statistiquement significatifs, ont amené les chercheurs à considérer qu’il n’était pas nécessaire de mettre en œuvre d’actions de prévention vis-à-vis d’hypothétiques effets à long terme des champs électriques et magnétiques pour les employés des compagnies d’électricité. Concernant les autres effets éventuels (maladies cardio-vasculaires, dépressions, suicides), les études épidémiologiques portant sur de larges effectifs n’ont pas montré d’augmentation du risque en relation avec l’exposition aux champs électromagnétiques.
LES ÉTUDES SUR L’EXPOSITION DES ENFANTS AUX CHAMPS MAGNÉTIQUES
La première étude épidémiologique associant réseaux électriques et leucémie des enfants a été publiée en 1979. Près d’une trentaine d’études ont suivi, améliorant la méthodologie employée, notamment pour l’estimation de l’exposition des sujets. Jusqu’aux années 1990, parmi les études qui évaluent l’exposition de manière indirecte et qualitative (par exemple, en fonction de la distance entre la résidence et les lignes électriques), environ une étude sur deux observe un lien statistique avec la leucémie de l’enfant. En revanche, celles qui mesurent directement l’exposition au champ magnétique ne trouvent pas d’association. À ce titre, l’étude la plus représentative de cette période est celle de Feychting & Ahlbom (1993). L’Académie des Sciences des États-Unis, dans son rapport de 1997, en conclut que « le facteur responsable de cette association statistique n’a pas été identifié. Aucun résultat scientifique ne relie les mesures contemporaines de champs magnétiques avec la leucémie infantile ».
Dès 1990 les études comportent une mesure systématique du champ dans le logement pour estimer l’exposition des sujets et, par ailleurs, portent sur des effectifs beaucoup plus importants. Visant essentiellement l’apparition de leucémies, ces études n’ont pas montré d’association statistiquement significative entre leucémie et exposition mesurée. La plus importante de ces études (UKCCS, United Kingdom childhood cancer study) a été publiée par les Britanniques en 1999 . Elle portait sur 2 226 cas de cancers chez l’enfant, dont 907 cas de leucémie. Ici encore, aucun lien avec la proximité d’installations électriques n’a pu être établi. Ces études ne mettent en évidence « aucune preuve que la proximité des installations électriques ou les champs magnétiques que celles-ci génèrent au Royaume Uni est associé à un excès de risque de leucémie infantile ou tout autre cancer ».
Les analyses conjointes (ou méta-analyses, en langage épidémiologique) ouvrent une troisième période. Celles-ci se fondent sur le groupement de différentes études afin d’accroître l’effectif de la population observée et donc la puissance statistique de l’étude conjointe. La plus connue est l’étude de A. Ahlbom, publiée en 2000, qui a rassemblé 9 études épidémiologiques majeures publiées antérieurement. Aucun accroissement des risques n’est détectable pour une exposition moyenne sur 24 heures inférieure à 0,4 µT (microtesla), ce qui correspond à l’exposition de 99% de la population. Au delà, l’étude observe un risque relatif de 2 vis à vis des leucémies de l’enfant. Prudents dans leurs conclusions, les auteurs de l’étude évoquent de possibles biais, notamment liés au choix de l’échantillon de sujets étudiés et de facteurs environnementaux non pris en compte.
Une bonne illustration des difficultés d’interprétation que posent ces études épidémiologiques est donnée par une série d’études anglaises initiée par celle de G. Draper en 2005, et poursuivie par celles de M.E. Kroll en 2010 et J.K. Bunch en 2015.
L’étude publiée par G. Draper en juin 2005 constitue un cas particulier : elle a observé un lien statistique entre survenue de leucémies infantiles et distance des lieux de résidence des enfants à la naissance par rapport aux lignes électriques. Cette association persiste jusqu’à 600 m alors qu’à une telle distance (et même bien avant) le niveau de champ magnétique induit par les lignes est négligeable. De l’avis même des auteurs de l’étude, « il est surprenant de retrouver cet effet aussi loin des lignes […] à cette distance les champs calculés dus aux lignes sont inférieurs à 0,1 µT et souvent à 0,01 µT, ce qui est encore moins que le niveau moyen de champ magnétique dans le domicile provenant d’autres sources que les lignes ».
L’étude Draper a fait l’objet d’une publication complémentaire en 2010. L’auteur, M.E. Kroll, travaille pour le même institut que G. Draper, qui est d’ailleurs également coauteur. En se basant sur la même population, l’étude a cette fois pris en compte le niveau de champ magnétique dans les résidences, calculé à partir de la distance et du courant moyen ayant transité par les lignes à très haute tension à proximité du logement par rapport à ces lignes. Cette seconde étude n’a observé aucune association statistiquement significative et la conclusion des auteurs est claire : ils considèrent qu’ « il est extrêmement improbable que l’exposition au champ magnétique 50 Hz soit la cause de l’association précédemment observée ».
Enfin l’étude Bunch publiée en 2015 reprend l’étude Draper avec 10 années de données supplémentaires (jusqu’en 2008 là où Draper s’arrêtait en 1998). L’étude Bunch n’observe plus de lien statistique, quelle que soit la distance aux lignes. Mieux, en analysant les données décade par décade, l’étude montre que le risque décroit au cours du temps : relativement fort dans les années 60 et 70, il devient nul dans les années 90 et 2000. Les auteurs en concluent qu’aucune cause physique (comme par exemple les CEM) ne peut expliquer cette tendance.
On notera enfin deux nouvelles méta-analyses[1][2] publiées en 2010 par L. Keifhets (et d’autres épidémiologistes dont A. Ahlbom), intégrant toutes les études épidémiologiques publiées entre 2000 et 2010. La première porte sur les cancers du cerveau chez l’enfant et les conclusions sont claires : « pris dans leur ensemble, nos résultats fournissent peu de preuves d’une association ». La seconde porte sur les leucémies de l’enfant et les conclusions des auteurs sont les suivantes : « [les] résultats sont cohérents avec les analyses conjointes précédentes montrant une association entre les leucémies de l’enfant et le champ magnétique, l’association est plus faible dans les études les plus récentes ». Cette conclusion ne change donc pas le consensus scientifique établi précédemment, mais par rapport aux méta-analyses des années 2000, l’association est ici plus faible et surtout, elle n’est plus statistiquement significative.
Cette tendance est confirmée par la dernière méta-analyse publiée en 2018, par A. Amoon (de l’équipe de L. Keifhets) et qui intègre toutes les études épidémiologiques portant sur la distance aux lignes électriques et les leucémies de l’enfant. La conclusion est la suivante : aucune association entre leucémie et distance aux lignes, toutes tensions confondues. Si on se limite aux distances proches (moins de 50 m) et aux lignes de plus forte tension (plus de 200 kV), les auteurs évoquent un risque faible et imprécis qui ne peut être expliqué par l’exposition au champ magnétique
FOCUS
L’épidémiologie
L’épidémiologie s’efforce d’établir des liens statistiques entre l’apparition de maladies et des facteurs environnementaux ou de mode de vie. C’est une science d’observation, elle n’intervient pas sur le cours des évènements et a pour objet l’étude de la population humaine dans ses conditions réelles d’existence. Par conséquent, l’une des difficultés essentielles auxquelles les épidémiologistes sont confrontés est de pouvoir isoler l’influence particulière du facteur d’exposition que l’on souhaite étudier de tous les autres facteurs potentiels d’influence. L’analyse de ces corrélations, des facteurs explicatifs et des biais potentiels fait partie intégrante de la démarche épidémiologique, mais elle est particulièrement difficile quand les corrélations observées sont faibles et portent sur maladies rares, comme dans le cas des champs magnétiques de fréquence extrêmement basse et la leucémie de l’enfant.
Enfin, une des limites inhérentes à l’épidémiologie est qu’elle met en évidence des corrélations, c’est-à-dire des associations statiques (entre les facteurs étudiés et les maladies), mais il ne faut pas les interpréter comme des relations de cause à effet. Pour comprendre pleinement cette différence, prenons un exemple : tous les matins le coq chante puis la température ambiante s’élève progressivement. Il y a donc une forte association entre chant du coq et élévation de température mais à l’évidence pas de relation de cause à effet. Il y a en fait un troisième élément, qui est lié à la fois au chant du coq et à l’élévation de température, et qui est leur vrai facteur causal : le lever du soleil.
Ce sont de telles confusions que l’épidémiologiste doit écarter dans son analyse de l’influence du milieu sur l’apparition d’une pathologie, et c’est ici que la complémentarité entre épidémiologie et études expérimentales en laboratoire (ou cette fois il est facile d’étudier isolément l’influence spécifique d’un facteur donné) prend tout son sens.
Focus
- L’épidémiologie s’efforce d’établir des liens statistiques entre l’apparition de maladies (ou leur fréquence) et des facteurs environnementaux et de mode de vie. Science d’observation, l’épidémiologie a pour objet l’étude de la population humaine dans ses conditions réelles d’existence. Par conséquent, l’une des difficultés essentielles auxquelles les épidémiologistes sont confrontés est de pouvoir isoler le facteur d’exposition que l’on souhaite étudier de tous les autres facteurs potentiels d’influence. Par ailleurs, si l’épidémiologie cherche en premier lieu à mettre en évidence des corrélations, des associations statiques (entre les facteurs étudiés et les maladies), il ne faut pas les confondre avec des relations de cause à effet. L’analyse de ces corrélations, des facteurs explicatifs et des biais potentiels fait partie intégrante de la démarche épidémiologique, mais elle est particulièrement difficile quand les corrélations observées sont faibles et portent sur maladies rares, comme dans le cas des champs magnétiques de fréquence extrêmement basse.
- Pour comprendre pleinement cette différence, prenons un exemple : le complexe de Chanteclerc. Tous les matins le coq chante puis la température ambiante s’élève progressivement. Il y a donc une forte association entre chant du coq et élévation de température. Pourtant, l’association observée s’explique par un troisième phénomène : le lever du soleil.
- Ce sont de telles confusions que l’épidémiologiste doit écarter dans son analyse de l’influence du milieu sur l’apparition d’une pathologie, et c’est ici que la complémentarité entre épidémiologie et études expérimentales en laboratoire prend tout son sens.